Dans le monde de la musique, il y a des créations qui émergent avec une singularité marquée, et l’album inaugural de Paskinel en fait partie. Mené par Patrick “Paskinel” Dufour, ce projet, réalisé en collaboration avec Frédéric “Tourneriff” Chaput, membres d’Alco Frisbass, se présente comme une œuvre raffinée et originale. “Maraude automnale”, composé de huit pistes, offre un subtil mélange de rock, de progressif et de jazz, où les arrangements délicats révèlent une créativité remarquable. Paskinel, maître dans l’art de capter et fusionner différentes influences, offre une expérience musicale propice à la réflexion et à l’imaginaire. Pour plonger davantage dans l’univers de cet album éclectique, nous avons eu l’opportunité d’interviewer Patrick Dufour.
Comment l’expérience de travailler avec Frédéric “Tourneriff” Chaput et Fabrice Chouette a-t-elle influencé la création de “Maraude automnale”?
J’ai rencontré Fabrice Chouette en 2012, lors d’une sortie entre chroniqueurs du site web “Progressive Area” (qui n’existe plus aujourd’hui). Une forte complicité s’est rapidement installée entre nous. Parallèlement au balbutiement du projet Alco Frisbass, nous échangions nos compositions personnelles. Avant de le rencontrer, je doutais énormément de la pertinence de mes compositions. C’est encore le cas, mais dans une moindre mesure. Je dirais donc que Fabrice m’a apporté plus d’assurances en tant qu’artiste et la motivation de persévérer dans mes projets personnels. Fabrice est particulièrement doué en tant qu’arrangeur et je pense avoir progressé dans ce domaine en travaillant avec lui.
Après quelques échanges informels sur les réseaux sociaux, Fabrice et moi avons rencontré Frédéric en aout 2014, lors du festival Crescendo. A cette époque, le premier album d’Alco Frisbass était déjà en attente de paraitre et Fabrice et moi travaillions sur de nouvelles compositions. Dès les premières participations de Frédéric, nous nous sommes rendus comptes que nous franchissions un nouveau palier vers plus de professionnalisme, de par sa maitrise de la guitare, de la basse et ses compétences d’ingéson.
Pour ma part, l’arrivée de Frédéric m’a appris a être plus rigoureux dans mon travail. J’ai surtout pu démarrer sérieusement mon projet en sachant qu’il serait à mes côtés, en tant que musicien, technicien du son et ami.
Dans votre album, “Maraude automnale”, on ressent une variété d’influences musicales. Quelles ont été vos principales inspirations pour ce projet?
Le répertoire de “Maraude automnale” a été composé sur une longue période, ce qui peut expliquer la grande diversité d’influences. Je citerais en premier Soft Machine et l’école de Canterbury en général, Univers Zero, Magma ainsi que rock progressif scandinave tels que Anekdoten et Anglagard. J’écoute aussi régulièrement du jazz (John Coltrane en autres) et du jazz rock (Herbie Hancock, Miles Davis, George Duke…) donc forcément, ça s’entend parfois dans ma musique.
Vous avez mentionné qu’il y a beaucoup d’allusions et de références dans vos compositions. Pouvez-vous partager quelques exemples de ces influences cachées et comment elles ont contribué au sens de vos morceaux?
La plupart de mes titres font références à des souvenirs d’enfances et de ce que j’ai pu glaner comme histoires et témoignages d’une époque doucement surannée.
“La danse des feux follets” évoquent une époque où adolescent, quand je passais parfois le long du cimetière de mon village la nuit pour rentrer chez moi, je regardais si j’apercevais des feux follets. Je n’en ai jamais vu hélas.
“One o’clock” fait référence au comics pocket “Il est minuit, l’heure des sorcières” que je lisais assidûment également à mon adolescence, comme pas mal d’autres référence de cette collection. Les histoires fantastiques et de SF (j’étais fan du magazine “Metal Hurlant”). En découle mon clin d’œil au livre de Théodore Sturgeon “Cristal qui songe”.
“L’écho noir”, que j’ai emprunté à l’écrivain Michael Connely, fait référence au bruit sourd du silence de la nuit, dans un espace clos et particulièrement, quand on a peur du noir, comme c’était mon cas enfant.
Votre musique semble traverser différentes atmosphères, du rock au progressif en passant par le jazz. Quelle est votre vision de l’importance de mélanger les genres musicaux et de créer un son unique?
Mon frère ainé et moi avons été initiés, très tôt, à l’écoute de la musique par mon père. Des 45 tours de cha cha cha, de Ray Conniff et Ray Charles résonnaient dans notre maison familiale. En 1975, la diffusion à la télé du “Live à Pompéi” de Pink Floyd a été mon premier choc musical, même si j’écoutais également les Rubettes et Claude François, hé hé. Dès 1979, je me suis mis à lire, de A à Z, les mensuels Best et Rock & Folk et à écouter les émissions de radio branchées de l’époque. A partir de là, je n’ai eu de cesse, avec une certaine boulimie, de découvrir un maximum d’artistes et de groupes. C’est certainement cet éclectisme culturel qui m’a permis, en tant que compositeur, de développer une musique au style personnel.
Vous avez impliqué différents musiciens supplémentaires dans votre projet. En quoi la collaboration avec d’autres artistes a-t-elle enrichi et façonné le son final de “Maraude automnale”?
Je savais que je pouvais compter sur la participation de Fabrice Chouette pour un solo d’orgue saturé et Franck pour de la guitare et du lap steel sur « Danse des feux follets ». Par contre, la recherche de musiciens pour refaire les parties acoustiques a été une des phases les plus compliquées dans la réalisation de cet album. A part Mickael Fellmann au saxo (qui jouait avec Franck dans le tribute prog “Flytox”), je ne connaissais personne des futurs intervenants. J’ai pu contacter Jacques Bon, Dag-Z et Jung Gui par l’intermédiaire d’amis. Leurs interventions n’ont pas vraiment chamboulé les compositions car tous étaient déjà en place. Dag-Z (qui travaille dans le monde du cirque) a eu carte blanche pour proposer un chorus de flute traversière. Par contre, cela a été plus ingrat pour Jacques Bon et Jun Gui Kwon de rejouer, note pour note, ce qui était déjà en place, par le biais de samples (ou plus exactement de soundfont, pour ceux qui connaissent) car le style était très différent de leur registre habituel. Jacques est issu de la musique liturgique et Jun gui a une sensibilité proche de Stéphane Grappelli. Très heureux que cela ait pu se faire malgré tout.
Le titre “Maraude automnale” évoque une atmosphère automnale. Comment avez-vous choisi ce titre et quelles émotions ou concepts souhaitez-vous transmettre à travers ce choix?
Il faut comprendre “Maraude” dans le sens maraudage ou chapardage. C’est lié à plusieurs anecdotes de mon enfance et de ce que j’ai pu glaner comme histoires et témoignages d’une époque doucement surannée. Je pense bien sûr à ma tentative avec deux autres comparses de percer, avec pelles et pioches, un tumulus gaulois enfoui dans un bois, pour trouver le trésor caché. La rencontre avec un garde champêtre nous a convaincue d’abandonner…Je pense aussi au cerisier qui n’était accessible qu’en passant par un accès peu connu et bien caché, derrière le parc de mon village de l’Yonne.
“Automnale” pour l’atmosphère que cette saison dégage. Le brouillard, le froid humide, les jours plus courts, les feuilles qui tombent sont des éléments typhiques d’un mois de novembre qui, pour moi dégagent une ambiance nostalgique, de fin de cycle, voire gothique ou lugubre. Les deux photos qui illustrent la pochette ont été prises à cette saison.
Dans la première piste, “La danse des feux follets”, vous avez travaillé avec Franck Dehaut. En quoi sa présence a-t-elle contribué à l’intrigue musicale de cette piste particulière?
Dans les années 90, Franck à la guitare et moi à la batterie, avons participé, ensemble, à plusieurs groupes de rock progressif, plus ou moins éphémères. Le plus sérieux d’entre eux s’appelait Paracelsus, nom de groupe que j’avais proposé, en forme de clin-d’œil au groupe National Health.
La plupart des compositions étaient de Thierry Véclin, le claviériste et moi-même. “La danse des feux follets”, qui existait alors sous un autre nom, faisaient parties des morceaux que j’avais amenés. Quand j’ai retravaillé ce morceau pour mon projet, il était évident pour moi que Franck devait y participer. A cause de son emploi du temps très chargé, cela s’est fait un peu à l’arrache mais le résultat est là. Je suis très satisfait de ce morceau qui est, de fait, le plus ancien de l’album.
Vous avez mentionné que votre album offre une variété d’histoires musicales. Quelle est l’histoire ou le message principal que vous espériez communiquer à travers ce travail?
Je crois que c’est une peu à chaque auditeur d’imaginer sa propre histoire selon son vécu ou son imaginaire. Pour ma part, j’ai plutôt plongé dans mes souvenirs d’enfance. Je peux dire que je ne me suis jamais ennuyé, que ça soit dans ma cité brestoise ou dans mon village de l’Yonne. Les champs, la forêt, les maisons en ruines, les jardins des voisins, les caves de mon immeuble, ou même l’intimité de ma chambre étaient mes terrains de jeux.
Je n’ai pas de message à transmettre et je vais éviter le “c’était mieux avant”.
L’école de Canterbury est un sous-texte léger mais reconnaissable dans votre musique. Comment avez-vous équilibré l’incorporation d’influences sans perdre votre voix artistique distinctive?
Je ne peux pas renier le fait d’écouter depuis belle lurette, beaucoup de groupes et artistes rattachés à ce courant musical. Des groupes comme National Health, Gilgamesh, Soft Machine, Khan, Egg et bien d’autres m’ont fasciné, me fascinent et me fascineront. De même pour des musiciens tels que Dave Stewart, Allan Gowen, Mike Ratledge et Karl Jenkins. Je suppose que cela a dû influencer ma musique mais rien de vraiment obsessionnel. Cela s’est fait naturellement je suppose, de par mes choix artistiques comme l’absence de structure couplet/refrain, l’utilisation régulière du Fender Rhodes et de l’orgue saturé, l’absence de chant et l’utilisation de signatures rythmiques souvent non linéaire.
J’aime que mes compositions soient riches en rebondissement avec des thèmes variés. Pour cela, je passe beaucoup de temps à travailler les arrangements pour que mes compositions sonnent le plus fluide possible à l’auditeur.
“Maraude automnale” semble également refléter des thèmes sociaux, du titre aux dernières pistes. Comment envisagez-vous le rôle de la musique dans l’exploration et la confrontation des questions sociales ou dans la réflexion sur les dynamiques contemporaines ?
Comme expliqué plus haut, le titre de l’album ne fait pas référence aux volontaires de la croix rouges qui arpentent les rues pour amener du réconfort aux sans-abris.
“Au forum des commérages” est un titre trouvé par Frédéric, qui fait référence au niveau variable des discussions passionnées que l’on peut trouver sur internet et les réseaux sociaux.
Sinon, concernant la dernière question, je ne vais pas m’improviser sociologue donc je passe.